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L’échangeur Turcot… Pensez-y!


Bon, actuellement, c’est la période des séries éliminatoires. Actuellement, Montréal tire de l’arrière 3-2, mais il y a un autre bras de fer qui, je le crois, est encore plus intéressant et plus prometteur. Actuellement, la ville de Montréal joue un jeu assez solide avec le Ministère des Transports du Québec (le MTQ) au sujet d’une transaction concernant le fameux échangeur Turcot.

La ville de Montréal demande actuellement à collaborer avec le MTQ, mais on remarque que le terme « collaboration » n’est pas vu de la même façon. La ville lance d’abord un projet avec beaucoup de balises, allant même jusqu’à suggérer un nouveau design pour l’échangeur (qui serait bâti en hauteur, avec une structure circulaire). Elle se dit ouverte à échanger des informations avec le MTQ afin de pouvoir modifier les projets et obtenir un échangeur qui servirait bien la ville.

L’échangeur Turcot, c’est 290,000 déplacements routiers par jour, dont 30,000 en camion. 10% de la circulation est donc réservée à des mastodontes qui vont livrer les conteneurs du port de Montréal vers l’Ontario. C’est lourd! C’est aussi un point d’accès vers l’île, en plus d’aller vers l’autoroute Décarie et vers le centre-ville. C’est donc l’axe routier le plus important au Québec. Comme on ne niaise pas avec le projet de l’échangeur Turcot, voilà un assez gros article sur le sujet et qui pourrait vous éclairer.

Projet du Ministère des Transports

L’an dernier, le projet du MTQ coûtait 1.5 milliards de dollars; il en coûte maintenant 2.5 milliards, selon la ministre Julie Boulet. Le projet implique la démolition de l’échangeur de façon progressive, afin d’en construire un nouveau, qui permettrait un bon flot de voitures et de moyens de transport.

Le projet a pour avantage de répondre à un besoin immédiat; on a immédiatement besoin d’arrêter de dépenser 20-30 millions de dollars par année en entretien de l’échangeur, tout en sachant qu’il dépérit. On a besoin aussi d’une phase de construction qui ne nuira pas au transport par camions, parce que 10% des déplacements sur l’échangeur ont pour but de transporter des conteneurs.

2009: Le BAPE ramène le MTQ sur les planches à dessin

Le MTQ a un projet qui bat beaucoup de l’aile. Il a été soumis au Bureau des Audiences Publiques en Environnement (BAPE) en 2009, parce que tout projet routier important doit être approuvé par des experts. Ceux-ci ont clairement dit que le MTQ devait retourner à ses planches à dessin, parce que le projet posait des problèmes qui n’étaient pas soulevés.

Appuis

Sans surprise, le MTQ a l’aval du parti Libéral du Québec, qui est le parti au pouvoir. Il a aussi l’appui de la fédération des camionneurs, qui voit que son accès au marché Ontarien ne sera pas en danger. Elle a aussi l’appui des banlieues au Sud-Ouest Montréal, qui veulent pouvoir accéder à l’île de Montréal plus facilement en voiture, plutôt que par tout autre moyen de transport. Il ne faut pas se leurrer; si loin à l’ouest du métro Longueuil, je n’ai jamais vu d’autobus.

Finalement, les contribuables doivent reconnaître que le projet actuel coûte moins cher. Le Conseil du Patronat du Québec a fait preuve d’un cynisme et d’une mauvaise foi rarement vue, accusant les gens en faveur du projet de Montréal de mettre frein à un projet et de placer des bâtons dans les roues. Si vous voulez savoir, mon avis est que pour des projets d’infrastructures qui s’échelonnent sur 6 ans et dont le rapport n’est même pas encore sous la loupe du BAPE, on a encore le temps de critiquer.

Projet de Montréal

Le projet de Montréal serait de construire une structure circulaire surélevée afin de faciliter le transport et l’accès. Plus sobre, critiqué comme plus petit, le projet a toutefois l’avantage de transformer l’échangeur Turcot en une structure dynamique qui lui donne un potentiel de développement privé. Afin de s’assurer que le projet ne nuise pas à l’accès au centre-ville, on propose d’améliorer la structure de transport en commun des environs.

Drôle de timing

C’est un peu étrange que 2 ans après la première étude du BAPE, la ville arrive avec son projet et demande la contribution du MTQ pour une partie de l’évaluation. Cela démontre qu’il y a un changement majeur dans l’administration municipale; même si Gérald Tremblay est encore maire, les décideurs ne sont plus les mêmes. Plusieurs des idées de Gérald Tremblay étaient inspirés de Richard Bergeron, mais depuis que celui-ci a une place sur le Conseil d’Administration de la ville, on s’attend à voir des ailes pousser dans le dos du maire; contrairement à la politique fédérale et provinciale, la politique municipale en est une de consensus. On cherche à prendre une décision en groupe et à obtenir une entente commune.

Point de vue timing, on a vu mieux, mais ça démontre que Montréal est maintenant capable de faire front commun et cela solidifie ses revendications devant le parti libéral au Québec, qui est unanimement déplaisant.

Appuis

Les appuis pour un projet urbain du style proposé par Montréal pullulent; les 3 partis de la ville appuient le projet, ce qui est rare pour un projet ayant une valeur se chiffrant en milliards!  Les appuis viennent aussi du reste de la ville (les villes défusionnées par Jean Charest appuient elles aussi le projet de Montréal) et le Parti Québécois appuie aussi le projet.

Il faut aussi remarquer qu’au cour des dernières années, plusieurs urbanistes internationaux ont été appelés à se prononcer sur le projet du MTQ. Celui-ci faisait presque l’unanimité: le MTQ propose un projet du XXe siècle, arriéré, avec une faible place pour l’urbanisme et le développement urbain. La ville de Montréal, quant à elle, se vante d’avoir un projet du XXIe siècle.

Une question de crédibilité…

Julie Boulet a commencé en combattant le projet de la ville de Montréal, en martelant qu’il vaudrait 6 milliards de dollars. Effectivement, en 3 jours, le MTQ est arrivé à évaluer les coûts du projet! En 2 ans d’études pour la soumission auprès du BAPE, le MTQ avait sous-estimé le coût de l’échangeur Turcot d’un milliard de dollars (il est passé de 1.5 milliards à 2.5 milliards), mais en trois jours, il est capable d’évaluer le coût d’un projet.

La crédibilité du MTQ est assez questionnable. Julie Boulet a ensuite affirmé, plus tard, que le projet pourrait valoir de 4 à 6 milliards. Cette fenêtre rend ses affirmations un peu plus crédibles.

Mais il demeure à savoir si le gouvernement du Québec peut se permettre de repousser du revers de la main les suggestions de beaux projets. Maintenant que le parti Libéral est au plus bas dans les sondages, qu’il est accusé de collusion dans le domaine de la construction et des travaux d’infrastructures (comme en transport), il est assez mal placé pour affirmer avoir la légitimité de ne pas écouter sa métropole quand elle lance des demandes.

Qu’est-ce que l’on peut faire avec un échangeur?

Il faut y penser; l’Échangeur Turcot a été fini en 1967 (il y a 43 ans), ce qui en fait un échangeur « jeune » pour sa destruction. On devrait opérer un échangeur de cette taille pendant 60-70 ans, selon certains journalistes. Mais Turcot avait été conçu de façon un peu bâclée et rapide (2 ans, alors que sa reconstruction devrait prendre, au minimum, 6 ans).

Ça veut dire que l’échangeur que l’on veut bâtir maintenant va transformer la forme des quartiers du Sud-Ouest de Montréal jusqu’en 2070. Est-ce que l’on pourrait voir les objectifs à long terme de l’échangeur; veut-on une structure dont le seul but visé est le transport, faisant fi des titres de propriété ou du voisinage, comme le MTQ a voulu soumettre au BAPE et comme il avait fait ses travail dans les années ’60? Ou veut-on un plan qui permettrait au Sud-Ouest de pouvoir espérer faire un plan d’urbanisme prometteur, de pouvoir devenir une extension du centre-ville de Montréal et de faire prospérer le quartier? Pour moi, le projet actuel est trop limité en capacité urbanistique, n’a pas l’air d’avoir suffisament de flexibilité pour que plus tard, si l’on décide d’étendre la taille du centre-ville, on puisse lui permettre de prendre de l’expansion à l’ouest. C’est une simple question de savoir si l’on veut garder certaines avenues de développement ouvertes, parce que l’on sait que le développement à venir du centre-ville est déjà relativement limitée au Sud (où il se mélange au Vieux-Port), qu’il entre dans des zones résidentielles très anciennes au Nord (passé le Plateau) et que son expansion, à mon avis, se limiterait à l’est et à l’ouest. Si vous me le demandez, je vous dirai en plus qu’à mon goût, c’est l’ouest de la rue Guy qui semble le coin le plus prometteur pour faire des habitations modernes et permettre au centre-ville de grandir.

Voilà donc un projet routier qui a été utilisé pour développer une ville et lui permettre de devenir encore plus belle.

Granville Island, Vancouver

Granville Island, Vancouver, est une île qui se trouve sous un pont. Elle dispose d'un service de transport ferroviaire, de transport par "aquabus" et est reliée au centre-ville.

Les activités économiques de Granville Island existent depuis maintenant plus de 20 ans. Le quartier commercial se trouve dans False Creek, près du centre-ville de Vancouver. Elle possède une chambre de commerce dynamique qui organise des activités de façon quotidienne et attire beaucoup de touristes dans des magasins spécialisés, comme sa brasserie artisanale qui fait des bières saisonnières. La particularité de Granville? C’est une île, d’abord, mais vous remarquerez sur sa photo qu’elle est traversée en plein milieu par un pont routier. Pensez donc à Granville Island comme une Île Sainte-Hélène avec de vrais commerces, une activité économique diversifiée et qui utilise l’espace sous le pont pour le mettre en valeur, et non seulement pour tenir des pilliers.

Ici, on parle d’urbanisme commercial, qui a fait que Granville Island utilise un échangeur routier important pour devenir une extension du centre-ville de Vancouver. Devenir une extension du centre-ville de Montréal, ce serait une bonne idée à long terme pour le Sud-Ouest (le quartier n’est pas si loin, est près de Westmount, possède de belles habitations, le loft Impérial est déjà un exemple d’habitation urbaine dans le quartier), mais si on a un échangeur qui n’est pas conçu pour permettre des projets d’envergure dans le quartier, c’est peine perdue. En gros, il faut que l’échangeur puisse devenir une extension potentielle du centre-ville, et non une barrière qui dicte que passé ce point, vous n’êtes plus dans le centre-ville de Montréal, que vous entrez dans des terrains contaminés sans valeur et qui, finalement, sert de tampon souillé entre les belles villes de l’ouest de l’île et le centre-ville de Montréal.

Moi, ce que j’ai envie de dire, c’est que le dialogue est encore ouvert, qu’il faut se dépêcher, que c’est de la faute du MTQ pour ne pas avoir pris au sérieux les demandes de la ville de Montréal dans le passé et de la part de Gérald Tremblay pour ne pas avoir martelé son point plus tôt. Mais il faut arriver à une décision qui peut permettre à Montréal de grandir et au transport de continuer dans l’ouest de la ville. Il faut arriver à cette entente dans les mois à venir et s’y tenir.

Ce qui me fait peur, ce sont ces mangeurs de petits pains qui viennent nous justifier que le Québec est trop pauvre pour se payer un échangeur à valeur ajoutée (la valeur ajoutée, pour moi c’est de permettre à ce que plus tard, on soit capable d’étendre le centre-ville en direction ouest). Il y a 40 ans, le Québec était trop pauvre pour se payer un circuit hydroélectrique à plusieurs centaines de kilomètres du lieu de consommation d’électricité; maintenant, une partie importante de notre budget (l’équivalent de l’impôt perçu aux entreprises) vient d’Hydro-Québec. Il faut mentionner qu’Hydro-Québec paie aussi ses propres créanciers, en plus de l’argent qu’elle fournit à notre gouvernement pour payer nos programmes sociaux.

Si l’on veut mettre des bâtons dans les roues du développement de Montréal pour les 60 prochaines années pour ça, alors dans 60 ans, nous serons aussi riches que nous le sommes actuellement, voire moins.

6 réflexions sur “L’échangeur Turcot… Pensez-y!

  1. Le projet de Montréal imite celui des Chinois à Shanghai, peut-être que si on demandait aux Chinois de venir le construire ici, on ne parlerait peut-être plus en terme de 2 à 6 milliards mais de 30 millions ou plus…

  2. Merci pour ce super billet.

    Je vais l’utiliser comme exemple de ce que les blogues peuvent faire aussi pour diversifier le contenu des médias de masse.

    Un autre merci pour votre intervention sur le blogue de Rioux. Je sais que je ne devrais pas perdre mon temps à essayer de convaincre des gens que la réalité est plus complexe que les complots qu’ils voient partout, mais je trouve important qu’ils entendent à l’occasion une voie dissonante.

  3. Que Montréal paye la différence, et je n’ai pas de problèmes avec ça. Pourquoi l’ensemble des québécois devraient payer des milliards pour une fantaisie du maire?

    @L’engagé
    Si tu veux faire des commentaires, tu peux les faire sur mon blog. Tu ne te gènes pas habituellement.
    Je te ferai remarquer que la voix(!) dissonante c’est celle qui s’oppose au supposé consensus, et non pas celle qui suit aveuglément le dogme.

  4. Si Montréal paie la différence, alors je suis pour un poste de péage à l’entrée de la ville. Mais dans les deux cas, je suis d’accord.

    Et une voix dissonante, c’est une voix qui sonne différement de ce qui résonne dans notre tête. C’est pour ça que l’engagé va chez toi te parler; tu penses différement de lui, toi aussi. Il veut juste que tu augmentes ton argumentation d’une coche, parce que l’on sait qu’il n’y a pas de théorie du complot en environnement. Il y a des mauvais chercheurs, mais si tu veux des noms de mauvais chercheurs, tu peux même aller en trouver dans les écoles de médecine (ce qui ne m’empêche pas de consulter un médecin de temps en temps).

  5. La différence de localisation/moyen de transport entre chaque intervenant saute aux yeux.
    – Tous ceux qui habitent l’extérieur de Montréal mais ne travaille pas à Montréal veulent le moins dispendieux.
    – Tous ceux qui habitent à l’extérieur de Montréal mais travaille à Montréal veulent le plus rapide.
    – La majorité de ceux qui habitent Montréal et voyage en auto pour travailler (toucher par échangeur Turcot) veulent le plus rapide.
    – Les autres qui habitent à Montréal veulent le projet qui fera le moins de circulation.
    Je crois que ceux qui habitent Montréal et ne prennent pas leur voiture pour travailler ou qui la prenne mais loin de l’échangeur Turcot désirent le projet de Montréal car ils y voient une source de moins de pollution par le bruit et de l’air. Par contre, selon moi, ils rêvent tous, autant que le maire. Les gens habitués à voyager en voiture ne lâche pas leur voiture facilement. A long terme ce sera avantageux coté réduction pollution, c’est certain. Par contre, à cours et moyen terme, ce sera pire car les heures d’achalandage grandiront. Moins ça circule vite, plus la pollution s’accroît… Personnellement, je ne peux voir aucun avantage au projet du maire. De plus, je ne vois pas ce qu’un Maire, biaisé, aurait à faire dans une décision d’autoroute, si elle est déjà existante, même si elle se situe sur sa propre ville. Il a selon moi, un droit de recommandation tout au plus.

  6. C’est plutôt un droit de consultation. Lorsque le projet a été soumis au BAPE l’an dernier, la consultation publique avait été insuffisante, ce qui est ridicule. Lors de la soumission d’un projet routier, il est obligatoire selon la loi de consulter les instances et la population. J’ai entendu parler de villes aux États-Unis qui contrôlent la totalité de leurs structures routières.

    L’avantage du projet du maire est de ne pas bloquer le développement urbain du quartier sud-ouest. Un échangeur trop gros limite l’expansion du centre-ville dans l’ouest pendant 70 ans. C’est une question d’environnement, parce qu’au niveau de la pollution visuelle, je me demande si la taille du projet actuel (la taille physique), son apparence et le fait qu’on ne puisse pas l’adapter, ça risque d’être un casse-tête pour l’expansion du quartier pendant un bon bout de temps.

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